La formation du trou d'ozone dans l'Antarctique montre la rapidité avec laquelle nous pouvons changer l'atmosphère de notre planète. Il y a de nombreuses autres questions environnementales auxquelles nous faisons face aujourd'hui et nous devons les lier entre elles pour comprendre les causes sous-jacentes et en débattre au lieu de traiter chaque question de manière isolée. L'Antarctique est un continent magnifique. Les glaciers descendent jusqu'à la mer, royaume des pingouins et des baleines. Bien que 70% de l'eau douce du monde se trouve dans la calotte polaire, le continent est un véritable désert où l'eau douce y est pratiquement inexistante. La glace prend diverses couleurs, du blanc étincelant de la neige fraíche au bleu indigo profond au bas d'une crevasse béante. C'est dans cette terre de contrastes que l'on a découvert le trou d'ozone.
L'ozone est une forme d'oxygène similaire au gaz que nous respirons, mais est formé de trois atomes au lieu de deux. C'est donc un gaz très réactif et toxique en concentrations élevées. Quand il est engendré par la pollution près de la surface de la Terre, il peut provoquer des crises d'asthme mais, dans les couches supérieures de l'atmosphère, il forme une protection contre les rayons du soleil. Il s'agit de la couche d'ozone, une zone située à une altitude comprise entre 10 et 35 km où la concentration naturelle de l'ozone est très élevée. ? cette altitude, l'ozone résulte de l'action des rayons ultraviolets sur l'oxygène dans la stratosphère et les rayons ultraviolets les plus dangereux sont totalement absorbés durant ce processus. Certains de ces rayons atteignent la surface de la Terre et l'intensité est contr?lée par la quantité d'ozone-plus la couche d'ozone est épaisse, plus l'intensité des rayonnements UV est diminué, et vice-versa. Lorsque la couche d'ozone s'appauvrit, les rayons ultraviolets peuvent la traverser, ce qui a des effets néfastes en augmentant les risques de coups de soleil, de cancer de la peau et de cataracte.
Les recherches sur l'ozone dans l'Antarctique ont débuté il a plus de 50 ans avec l'Année géophysique internationale de 1957-58. Dans le cadre de cette entreprise scientifique, un réseau d'observatoires a été créé dans l'Antarctique, dont plusieurs ont mesuré l'ozone. La station de recherche britannique Halley fut l'une des premières à faire part de ses découvertes : les résultats obtenus pendant la première année de l'opération ont montré une différence surprenante avec ceux de l'Arctique à une altitude équivalente. On s'est vite rendu compte que cela était d? au fait que la circulation stratosphérique était différente au-dessus des deux p?les : au nord, la circulation est relativement complexe, alors qu'au sud, elle est relativement simple avec un vortex (tourbillon) circumpolaire de longue durée ou un cyclone continu de grande ampleur.
Ces mesures d'ozone à Halley se sont poursuivies en utilisant le même type d'instrument, le spectrophotomètre d'ozone de Dobson, con?u dans les années 1920 par un professeur de physique d'Oxford, Gordon Dobson. Il demeure aujourd'hui encore l'instrument standard pour l'observation de l'ozone. Il utilise les rayonnements ultraviolets qui traversent la couche d'ozone pour mesurer la quantité d'ozone. Cet instrument nécessite de nombreuses manipulations manuelles et les calculs nécessaires pour déterminer la quantité d'ozone à partir des observations sont complexes si bien que, dans les années 1970, une pile d'observations commen?aient à s'accumuler.
Lorsque j'ai rejoint le Groupe d'études britanniques de l'Antarctique, l'une de mes premières t?ches a été de créer des programmes informatiques pour traiter les observations après qu'elles eurent été saisies électroniquement. La première étape a consisté à s'assurer que les données saisies étaient correctes, puis à vérifier le logiciel. Ce fut aussi à cette époque que l'on a commencé à se poser des questions sur l'effet des aérosols et du supersonique Concorde sur la couche d'ozone. Lorsque le Groupe d'études britanniques de l'Antarctique a tenu sa ?Journée porte ouverte?, on pensait que ce serait une bonne occasion de réassurer le public en affirmant que la couche d'ozone au-dessus de l'Antarctique n'avait pas changé. Or, à la surprise générale, les données semblaient indiquer que les mesures de l'ozone au printemps de cette année-là étaient très inférieures à celles relevées dix ans auparavant, mais il me restait à traiter les données recueillies depuis. Une fois fait, il était évident qu'il existait un effet systématique. C'est alors que Joe Forman, Brian Gardiner et moi-même avons écrit un article exposant ce phénomène inattendu au-dessus de l'Antarctique.
Partout ailleurs en Antarctique, les observatoires ont continué d'effectuer des mesures de l'ozone de manière sporadique, mais sans disposer des techniques instrumentales disponibles à Halley qui permettent d'assurer la continuité des observations sur le long terme. Ce fut un facteur crucial dans notre découverte et qui nous a enseigné comment surveiller l'environnement. En outre, le centre du trou dans la couche d'ozone présente souvent une polarisation vers l'Atlantique, permettant à la station Halley de commencer les mesures plusieurs semaines avant que le soleil ne se lève suffisamment au p?le Sud. Une fois que l'article a été publié dans la revue Nature, les données satellites ont de nouveau été traitées et ont mis en évidence un ?trou d'ozone? au-dessus du p?le Sud. Bien que les satellites donnent un excellent aper?u général des changements dans la couche d'ozone, les observations au sol sont nécessaires pour permettre une calibration précise.
Nous savons aujourd'hui que ce trou est causé par les chlorofluorocarbones (cfc) et les halons contenant du chlore et des gaz de brome qui détruisent l'ozone. La raison pour laquelle la destruction est particulièrement importante au-dessus de l'Antarctique vient du fait qu'il existe un tourbillon polaire stable avec des températures de dix degrés inférieures à celles de l'Arctique. En hiver, une masse de nuages inhabituelle se forme dans la couche d'ozone antarctique et les réactions chimiques à la surface se produisent dans les nuages et ont un effet sur les substances chimiques qui appauvrissent la couche d'ozone. Lorsque le soleil réapparaít, des réactions catalytiques se produisent qui détruisent l'ozone.
Le Protocole de Montréal a été une réponse très efficace au changement de la couche d'ozone au-dessus de l'Antarctique. Ratifié par tous les ?tats Membres de l'ONU à l'exception d'un seul, il a permis de réduire la quantité de substances nocives. Ces substances et autres substances associées étant, toutefois, très stables, leur concentration atmosphérique diminue très lentement et ne retrouvera pas le niveau qui existait avant l'apparition du trou avant 2070. Il faudra probablement compter plusieurs années avant que le trou dans la couche d'ozone ne rétrécisse et de nombreuses décennies avant de retrouver les concentrations du début des années 1970. La réduction de ces substances nocives a eu comme conséquence involontaire de réduire le réchauffement de la planète, les substances chimiques étant souvent des gaz à effet de serre puissants.
Le problème du trou dans la couche d'ozone a été traité de manière relativement simple, chacun ayant généralement pris conscience du problème et reconnu la nécessité de trouver une solution en utilisant d'autres produits. Un autre sympt?me environnemental-celui du changement climatique-suscite actuellement de nombreux débats, mais en termes d'émission de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, on est au-delà du pire scénario prédit par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (giec). En outre, il existe de nombreux autres sympt?mes des contraintes exercées sur l'environnement allant de la pénurie de l'eau et de la nourriture à l'effondrement de la pêche à la déforestation et à la destruction de l'habitat.
Lorsqu'un médecin traite un patient, il est essentiel qu'il prenne en compte tous les sympt?mes pour pouvoir établir un diagnostic. C'est exactement la même chose lorsqu'on examine la santé de la planète. Mon diagnostic est que nous devons de toute urgence débattre du problème de l'ozone et prendre des mesures pour réduire les activités humaines qui affectent la planète, sinon d'autres sympt?mes risquent d'apparaítre. Nous pourrions diminuer la consommation des ressources de notre planète, en particulier dans les nations développées; mais il nous faut probablement aussi réduire la population mondiale si nous voulons assurer la santé de la planète à long terme. Pour ce faire, nous devons organiser sans délai un débat si nous voulons éviter un sort comme celui des habitants de l'íle de P?ques qui ont épuisé toutes leurs ressources.
Malheureusement, ces avertissements, comme les prédictions de Cassandre, ne seront pas entendus et il faudra peut-être une catastrophe majeure avant que des mesures ne soient prises. Les Nations Unies sont le lieu où le débat devrait débuter.
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