1 ao?t 2009

Par Fekri Hassan, l'Institut d'archéologie, University College London


Un jour, j'ai vu un tract qui appelait à un rassemblement pour arrêter le changement climatique. Beaucoup ne semblent pas savoir que le climat change tout le temps et qu'on ne peut arrêter les changements climatiques. Ces changements, toutefois, varient quant à leur fréquence et leur intensité et résultent de nombreux facteurs, comme la distance entre le soleil et l'équateur, qui contribue au bilan thermique de la Terre, et la différence de température entre l'équateur et les p?les plus froids causée par la déviation de l'orbite de la Terre ou les variations du rayonnement solaire.

Les variations de température créent un mouvement de masses d'air qui, à leur tour, entraínent des précipitations. Pendant des dizaines de milliers d'années, la Terre a connu de nombreuses périodes de refroidissement alternant avec des périodes de réchauffement. Après la dernière grande glaciation, qui a débuté il y a 110 000 ans, on constate, de 16 000 à 11 500, une évolution vers des conditions climatiques plus chaudes caractérisée par de fréquentes variations climatiques. Des groupes de chasseurs-cueilleurs vivant dans des habitats soumis aux aléas climatiques, comme les régions semi-désertiques en Asie de l'Ouest du Sud, en Afrique du Nord et en Chine, se sont adaptés en adoptant une variété de technologies sociales et agricoles, comme l'utilisation des herbages naturels et la gestion du cheptel, la fabrication et l'utilisation de meules, l'usage de pièges, l'emploi d'arcs et de flèches, ainsi que la conservation des denrées alimentaires. Certains ont continué de perfectionner leurs techniques de chasse, d'autres se sont fixés pour exploiter les ressources végétales. Les groupes les plus performants se trouvaient en Méditerranée orientale où le blé sauvage et l'orge étaient abondants.
L'INVENTION DE L'AGRICULTURE
De 11 600 à 8 200, le climat s'est réchauffé et est devenu plus humide dans le bassin oriental de la Méditerranée. C'est pendant cette période que des générations successives de chasseurs-cueilleurs, qui ont tiré avantage des habitats abondamment arrosés, ont adopté l'agriculture comme principal mode de production, marquant l'accomplissement le plus révolutionnaire de l'humanité - l'invention de l'agriculture.

Ce fut une transformation radicale du mode de vie. Les villages se sont groupés pour former des communautés dirigées par des conseils ou des chefs. Plus tard, les conglomérats de communautés agricoles ont fusionné pour créer des royaumes, tandis que les communautés qui élevaient du bétail, des moutons et des chèvres, ont recherché les terres irriguées près des cours d'eau.

Avec la mise en place de ce nouveau système agraire doté d'une organisation plus complexe, l'effet des changements climatiques sur la vie humaine a pris un nouveau tournant. Cela a été principalement d? à la nature de l'écologie agraire et au potentiel de croissance économique. La production agricole variait chaque année, en partie en raison de la variabilité inter¬annuelle des précipitations mais, plus important, en fonction des changements des conditions climatiques amorcés depuis des décennies et des siècles qui avaient un impact sur le débit des fleuves et sur les précipitations. Pour remédier à ces problèmes, des canaux d'irrigation ont été construits dans les terres desséchées, des canaux de drainage sont été aménagés pour libérer la quantité d'eau excédentaire et des digues ont été construites pour protéger les champs et les villages des dég?ts causés par les inondations.

DE GRANDES CIVILISATIONS
L'expansion des communautés agraires a donné lieu au développement d'?tats politiques complexes pourvus d'une structure de gestion hiérarchique. Les fonctionnaires, les clercs et les prêtres qui déployaient rituels et mythes pour promouvoir et renforcer les politiques de l'?tat ont suscité une augmentation de la demande alimentaire. Pour faire face à cette soudaine demande, un tribut a été prélevé sur les fermiers qui ont été contraints de travailler plus et d'agrandir leurs champs.

Vers 5000 av. J.-C, les premiers ?tats agraires ont donné naissance aux premières grandes civilisations mondiales en ?gypte, en Mésopotamie et en Inde. Mais vers 4200 av. J.-C., le climat a brusquement changé entraínant des changements dramatiques dans le monde entier. Sur les berges du Nil, les ?gyptiens avaient établi un ?tat centralisé. Des dynasties successives avaient construit des pyramides imposantes pendant 400 ans, de 4600 à 4200 av. J.-C., avant que des baisses répétées du niveau du Nil n'entraínent une catastrophe. Le gouvernement s'est effondré. Les famines ont ravagé la population rurale, la violence a éclaté et le pays entier a été en proie au chaos.
En Mésopotamie, les premières sociétés étatiques qui ont vu le jour au début du cinquième millénaire avant J.-C. dépendaient beaucoup de l'irrigation pour faire face aux sécheresses et aux inondations récurrentes du Tigre et de l'Euphrate. Pour tirer l'eau, elles ont inventé un système à bascule, le chadouf, et ont utilisé les canaux, les canaux de drainage, les barrages, les digues et les réservoirs. Contrairement à l'?gypte, les sols des plaines d'inondation avaient tendance à se saliniser, ce qui réduisait la productivité. Les dirigeants avaient recours aux guerres, il a 4500 ans. C'est ainsi que fut établi l'Empire militaire d'Akkad 200 ans plus tard. Les Akkadiens étendirent leur pouvoir sur les régions irriguées afin d'augmenter leur revenu généré par les tributs. Toutefois, les dépenses élevées de l'empire militaire, la perte de productivité causée par la surproduction des terres et la surexploitation des fermiers, ainsi que par une dépendance grandissante vis-à-vis des produits venant de terres irriguées marginales, ont rendu l'empire d'Akkad vulnérable aux révoltes internes et aux attaques extérieures au risque de provoquer sa chute. Un siècle à peine après sa création, l'empire s'est effondré suite à un événement climatique mondial, survenu il y a 4 200 ans, qui a eu trois conséquences.

Premièrement, le débit du Tigre et de l'Euphrate a considérablement diminué, nuisant à la productivité des terres situées dans les vallées. Deuxièmement, les inondations ont réduit le rendement des cultures irriguées par les eaux fluviales. Troisièmement, les tribus nomades guties qui vivaient dans les monts Zagros et qui étaient fragilisées par les sécheresses, ont profité de l'affaiblissement de l'empire d'Akkad et de ses tensions internes : ils ont rendu les transports dangereux, perturbé l'économie et empêché la collecte des tributs, privant l'empire de ses ressources vitales.

Plus à l'Est, en Chine, la culture du riz et du millet est devenue depuis 11 660 ans le principal mode d'alimentation gr?ce aux moussons. Toutefois, les sécheresses qui sont survenues il y a 4200 ans ont contraint les villageois qui occupaient la moyenne vallée du fleuve Yangstze d'abandonner leurs villages alors que l'eau manquait. Le Fleuve Jaune, sa grande boucle, ainsi que l'érosion des sols causée par des variations climatiques et l'agriculture, ont contribué à l'apparition de sociétés hiérarchiques complexes avant d'être menacées par un refroidissement climatique qui a non seulement causé des sécheresses, mais aussi diminué le nombre de jours sans gel, ce qui a entraíné une réduction des rendements agricoles. Cela est indiqué par le déclin, vers 4000 ans avant J.-C. en date calibrée, de la culture de Longshan dans la vallée du Fleuve Jaune et des sociétés agraires de la région centrale de Chine. Il semble aussi que les sécheresses aient encouragé l'intégration et la coopération politiques, l'émergence de la première dynastie décrite dans les sources historiques, la dynastie chinoise Xia (il y a environ 4100 à 3600 ans) dans la région occidentale de la province du Henan et la province du Shanxi.

Depuis 4200, de nombreux royaumes et empires ont vu le jour et ont disparu, principalement à cause des guerres menées pour acquérir de nouvelles terres et capturer de la main-d'?uvre afin d'augmenter la production. Le plus souvent, les rivalités internes, les co?ts causés par le contr?le de vastes territoires habités par des paysans écrasés par les imp?ts, ainsi que le co?t des guerres, ont eu raison des dynasties.

Au premier siècle après J.-C, bon nombre des royaumes et des empires précédents ont été renversés par l'Empire romain. Mais il ne fallut pas longtemps pour que le vaste empire, d'une portée pratiquement mondiale, connaisse les mêmes problèmes qui avaient précipité la chute de ces empires. Les changements climatiques qui sont survenus aux IIIe et au V?e siècle ont porté le dernier coup. Dans ce cas encore, comme dans le cas des Gutis et des Akkadiens, des sécheresses successives ont conduit les Huns, cavaliers munis d'arcs, à attaquer les tribus germaniques qui, à leur tour, ont attaqué les Romains. Les effets des changements climatiques sur les p?turages des régions désertiques et semi-désertiques ont, une fois de plus, favorisé au XIIe siècle, la recrudescence des attaques par les Mongols dont les descendants vivent aujourd'hui en Mongolie, en Chine, (Mongolie intérieure), en Russie ainsi que dans d'autres pays d'Asie centrale. Non seulement l'instabilité climatique a encouragé les nomades mongols à attaquer les communautés sédentaires, mais elle a également affaibli les royaumes et les empires, les rendant vulnérables.

Les événements climatiques qui ont contribué à l'expansion des Mongols ont été des phénomènes mondiaux - une période que l'on nomme ? anomalie climatique médiévale ?. Ils ont eu des conséquences majeures en Europe pendant la période médiévale et perturbé de nombreuses autres régions du monde, y compris l'Amérique du Nord. En ?gypte, les sécheresses qui ont eu lieu du IXe au début du XIIIe siècle ont engendré des famines et des bouleversements politiques.

On pense aujourd'hui que le déclin de l'Empire de la dynastie chinoise Tang, en 907, a été précipité par un changement climatique. Une perturbation du système des moussons en Chine a provoqué le déclin final de cette dynastie : une sécheresse prolongée et un été sec ont suscité des émeutes paysannes qui ont marqué la fin de la dynastie. Des archéologues ont découvert que, de 700 à 900, les vents plus violents durant la mousson d'hiver ont provoqué des migrations dans la zone de convergence intertropicale. Un événement climatique similaire a contribué à l'effondrement des Mayas en Amérique centrale.

Il est important de souligner que le changement climatique n'est qu'une cause, parmi de nombreuses autres, de la fin des civilisations et que la manière dont les sociétés étaient dirigées sont peut-être des facteurs plus importants. Le changement climatique aurait-il eu moins d'impact sur l'Empire Tang si le vieil empereur Xuanzong n'avait pas été si laxiste et indifférent vis-à-vis des affaires de l'?tat, ou s'il n'avait pas nommé des chanceliers pernicieux qui ont corrompu l'ordre politique et a été incapable, en 755, d'empêcher les troupes ennemies de menacer l'empire ? Un système impérial militaire n'est-il pas vulnérable au changement climatique ?Un régime sans puissance militaire oppressive aurait-il pu empêcher la montée des forces séparatistes au VIIIe et au IXe siècle ? Enfin, si l'empereur Tang avait mené une politique plus équitable et charitable à l'égard des paysans, cela aurait-il empêché le soulèvement de masse en 859 ?

Il faut éviter de percevoir le changement climatique comme cause unique de l'apogée ou de la chute des civilisations. ? cette époque et actuellement, le changement climatique peut être géré par des systèmes qui assurent la protection de l'habitat naturel et veillent à ce que les dirigeants ne surexploitent pas les masses au profit d'une minorité et ne recourent pas à la force militaire pour coloniser ou piller les ressources et les peuples d'autres nations.

Comme ces systèmes, notre système est extrêmement vulnérable. La situation est, de fait, pire parce que les économies des nations sont étroitement liées et que l'effet cumulatif des émissions qui polluent la planète depuis 200 ans menace aujourd'hui de bouleverser le climat mondial. La planète est aussi surpeuplée et très urbanisée. Au cours des 50 dernières années, la demande en eau, pour ne citer qu'une de nos ressources vitales, a augmenté, privant plus d'un milliard de personnes de l'accès à l'eau potable. Je pense que qu'aucune solution à la crise mondiale ne sera possible tant que nous n'abandonnerons pas les politiques nationalistes et les entreprises financières à court terme et ne créerons pas une institution chargée de la gestion mondiale. Cette institution unifierait et coordonnerait le savoir-faire, les ressources financières et humaines de toutes les nations pour réhabiliter nos environnements menacés ainsi que pour promouvoir et diffuser de nouvelles technologies pour réduire la faim et la pauvreté. Le réchauffement climatique - auquel les pays industriels ont déjà grandement contribué - est un signal d'alarme qui nous alerte non seulement sur les menaces que pose le changement climatique mais, plus important, sur les défaillances actuelles de nos institutions politiques et sociales et de leurs valeurs.

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