11 juin 2012

Afin d'éviter une catastrophe pour la planète, les sociétés doivent trouver un moyen de réduire les émissions de carbone de dioxyde (CO2), le plus grand contributeur au réchauffement climatique étant l'élément prioritaire des négociations menées actuellement sur le climat. Malheureusement, l'une des propriétés qui le rendent problématique - sa longue durée de vie dans l'atmosphère - crée des obstacles majeurs aux initiatives destinées à réduire ses émissions. Premièrement, les effets bénéfiques de la limitation de ses émissions se manifestent seulement après plusieurs décennies, ce qui va au-delà de l'intérêt accordé par la plupart des hommes politiques ou des corporations. Deuxièmement, les pays ne sont pas d'accord sur la part de responsabilité en matière de réduction : faut-il se baser sur les émissions historiques ou sur les niveaux actuels d'émissions ?

Cependant, le CO2 et les autres gaz à effet de serre à longue durée de vie ne sont pas les seuls responsables du changement climatique. Les polluants à la durée de vie moins longue y contribuent également. Le noir de carbone est produit au cours de la combustion incomplète provenant des fours à briques, des fours à coke, des moteurs diesel, des cuisinières utilisant de la biomasse pour la cuisson des aliments, du chauffage et des feux extérieurs. Ces particules chargées de suie absorbent la lumière et réchauffent la Terre. Une autre cause du réchauffement à effet court est l'ozone présent dans la basse atmosphère. L'ozone est un gaz à effet de serre significatif, qui n'est pas produit directement, mais par des réactions chimiques où intervient généralement le monoxyde de carbone (CO) ou le méthane.

Les émissions de ces précurseurs contribuent donc au réchauffement de la planète. Ces mêmes sources qui génèrent du noir de carbone produisent du monoxyde de carbone. Le méthane est produit par des sources comme les mines de charbon, les gaz torchés, le dégazage et le transport du gaz, les mises en décharge, la culture du riz et le fumier. Le méthane est non seulement un gaz à effet de serre important, mais il favorise la formation d'ozone. S'il a une vie plus longue que celle de l'ozone ou du noir de carbone, qui peut durer seulement quelques jours ou quelques semaines dans l'atmosphère, le méthane peut durer une décennie, ce qui signifie que par rapport au CO2, sa durée de vie est courte.

Le méthane, le gaz carbonique et le noir de carbone sont responsables du réchauffement au même titre que le CO2. Si les incertitudes sont plus grandes pour le noir de carbone, il contribue aussi significativement à la fois au réchauffement climatique et aux changements climatiques régionaux. Ces polluants moins connus jouent donc un r?le significatif dans le problème climatique. De plus, l'ozone et le noir de carbone sont responsables de la dégradation de la qualité de l'air. L'ozone est toxique à la fois pour les hommes et pour les plantes, et les particules de suie sont particulièrement nocives pour les hommes car, étant très fines, elles peuvent être inhalées profondément dans les poumons et provoquer des maladies cardiovasculaires et le cancer du poumon. Les réductions des émissions de noir de carbone et des précurseurs d'ozone amélioreraient donc non seulement la santé humaine et la sécurité alimentaire, mais atténueraient aussi les effets des changements climatiques.

Tandis que la qualité de l'air et les changements climatiques ont été traditionnellement considérés comme des problèmes distincts ayant des solutions différentes, ces deux questions environnementales se recoupent dans une grande mesure pour ce qui est du méthane, du noir de carbone et du monoxyde de carbone. Nos études récentes ont mis en évidence des mesures de contr?le des émissions de ces polluants qui ont permis de réduire le rythme des changements climatiques à court terme et d'améliorer la qualité de l'air. Ces mesures consistent à réduire les émissions de méthane produites par les mines de charbon, la production pétrolière et gazière, la transmission de gaz sur de longues distances, les déchets municipaux et des décharges, les eaux usées, le fumier de bétail, les rizières et à réduire les émissions produites par la combustion incomplète des moteurs diesel, des cuisinières utilisant de la biomasse, des fours à briques, des fours à coke ainsi que des déchets agricoles.

Ces mesures, qui utilisent toutes des technologies existantes avérées, réduiront le réchauffement climatique prévu de près de la moitié au cours des trois prochaines décennies tout en réduisant de 1 à 4 millions par an le nombre de morts prématurées dues à la pollution de l'air extérieur et en augmentant les rendements agricoles de 30 à 135 millions de tonnes par an. Elles permettront d'éviter de nombreux décès prématurés supplémentaires par an résultant de l'exposition à la pollution de l'air intérieur, près de 400 000 par an en Inde et en Chine seulement. Elles permettront aussi d'améliorer le climat régional en réduisant les perturbations liées au régime des précipitations traditionnel comme la mousson en Asie du Sud ou les pluies au Sahel, et, surtout, en évitant les modifications du climat régional et en réduisant les décès dans les pays en développement où le contr?le des émissions sera en place.

Ces mesures de contr?le sont également économiques. Par exemple, un grand nombre de mesures de contr?le des émissions de méthane s'auto-amortissent car le méthane récupéré peut être vendu (le méthane est le principal composant du gaz naturel). La récupération du gaz pendant l'extraction du pétrole ou du gaz ainsi que la séparation et le traitement des déchets municipaux biodégradables au lieu de leur mise en décharge sont des mesures intéressantes à cet égard. En termes de co?t par tonne, la plupart de ces mesures co?tent moins de 250 dollars, un grand nombre étant inférieures à 100 dollars, ce qui est nettement inférieur aux avantages pour la santé, le climat et l'agriculture estimés de 700 à 5 000 dollars.

De même, de nombreuses mesures d'émissions de réduction du noir de carbone sont économiquement intéressantes. Appliquées aux fours à briques, aux fours à coke et aux cuisinières, elles permettent de réduire les émissions par une combustion plus efficace de l'énergie. Les petites entreprises amortissent donc le co?t des fours, car elles font des économies sur le combustible. Il en est de même pour les cuisinières qui, nécessitant moins d'énergie, réduisent le temps passé à ramasser de la biomasse, laissant plus de temps à des activités comme l'éducation pour les femmes et réduisant également la déforestation.

Ces avantages pour la santé, l'agriculture et le développement rendent ces mesures beaucoup plus intéressantes lorsqu'on adopte un point de vue plus global que lorsqu'on se concentre seulement sur les conséquences sur le climat (comme dans un mécanisme de type Kyoto qui compare le CO2 et le méthane sur la seule base de leur impact à long terme sur le climat).

Si les obstacles à surmonter sont moins importants que pour le gaz carbonique, la réduction des émissions des polluants à court terme nécessite un effort concerté. Le financement de projets relatifs au méthane pourrait aider les intéressés à appliquer les technologies de réduction des émissions. Comme je l'ai mentionné, celles-ci s'auto-amortissent parfois, mais le co?t de départ peut être prohibitif. Les efforts locaux dans la réduction de noir de carbone et de monoxyde de carbone pourraient être complétés par une coopération internationale, des transferts des technologies ainsi que par une sensibilisation renforcée. Ces efforts sont dans l'intérêt de chaque nation, car ils amélioreront la qualité de l'air, limiteront les effets du réchauffement climatique et aideront la communauté mondiale en réduisant le réchauffement climatique de la planète. Ils ont déjà porté leurs fruits avec l'annonce le 16 février 2012 de la Coalition pour le climat et l'air pur visant à réduire les polluants à court terme. Ce groupe, qui comprend trois pays développés (Canada, ?tats-Unis et Suède), trois pays en développement (Bangladesh, Ghana et Mexique) et le Programme des Nations Unies pour le développement, vise à encourager la mise en ?uvre généralisée des mesures décrites dans nos études.

Certains peuvent craindre qu'adopter un point de vue plus large, qui souligne l'importance de ces émissions responsables de la dégradation de la qualité de l'air et du climat, peut détourner l'attention du vrai problème posé par les émissions de CO2 afin d'éviter les changements climatiques à long terme. Je crois que les sociétés peuvent et, en fait, doivent confronter simultanément plusieurs problèmes. Les études scientifiques soutiennent l'idée de séparer les changements climatiques à long terme, déterminés principalement par les émissions de CO2, des changements climatiques à court terme et de la qualité de l'air, déterminés par les émissions de gaz précurseurs de la formation de particules et d'ozone, car les sources et les effets des émissions sont généralement distincts. Ce sont de bonnes raisons pour traiter ces deux questions plut?t que l'une ou l'autre.

Imaginez qu'une personne soit hospitalisée pour une jambe cassée et que les médecins découvrent qu'elle souffre d'un cancer qui peut être traité. Est-ce une raison pour ne pas s'occuper de la fracture et se concentrer seulement sur le cancer, car c'est un problème plus sérieux à long terme ? Bien s?r que non. Cela ne devrait pas être différent en ce qui concerne les changements climatiques. Il semble rationnel de trouver un équilibre entre les mesures de réduction des émissions de CO2, qui présentent des avantages à long terme pour les générations futures, et celles de méthane et de noir de carbone, qui présenteront des avantages rapides au cours des prochaines décennies.

De plus, réduire seulement le CO2 pourrait conduire à ce que nous avons vu dans le passé : l'échec à réduire efficacement les émissions. Nos nouvelles études ne changent en rien la conclusion que les réductions de CO2 sont vitales, mais nous le savons depuis des décennies et, pourtant, nous sommes dans une impasse. Si nous continuons à nous préoccuper seulement du CO2 et que ses émissions continuent d'augmenter, nous pourrions perdre sur les deux tableaux - une réduction minimale de CO2 et une réduction minimale de méthane/suie. Si nous ne mettons pas ces mesures en place, des millions de personnes mourront du fait de maladies causées par la pollution de l'air et d'autres souffriront des perturbations causées par les changements climatiques pendant les prochaines décennies. Alors que les changements climatiques peuvent avoir des effets dramatiques dans 100 ans, ils en auront aussi au cours des prochaines décennies, et pour les exploitants agricoles pauvres ou les íles à faible altitude qui sont aujourd'hui en difficulté, le court terme est peut-être leur seul horizon. De manière plus optimiste, les avantages multiples de la réduction du noir de carbone et du méthane pourraient conduire à une plus grande coopération internationale que celle engagée pour la réduction du CO2. Il serait plus facile pour les gouvernements et les conseils d'administration des entreprises de mener des actions lorsque l'un des dividendes sera un air plus propre pendant leur mandat. De plus, les effets des polluants à court terme résultent principalement de leurs émissions actuelles. Les discussions portant sur les responsabilités historiques et le niveau des émissions actuelles ne sont donc, dans une grande mesure, pas pertinentes. Réussir à réduire les polluants de courte durée de vie pourrait même donner confiance dans notre capacité à coopérer pour réduire les effets des changements climatiques, instaurant donc un climat de confiance entre les pays pour négocier les réductions de CO2.

En matière de CO2, ceux qui réduisent les émissions en paient le prix, et la planète entière partage les bénéfices - la solution familière d'une tragédie des biens communs. Alors que la situation est semblable pour le méthane en termes d'avantages environnementaux, elle diffère en ce sens que la valeur économique du méthane récupéré est per?ue par celui qui réduit les émissions. En ce qui concerne le noir de carbone et le monoxyde de carbone, la situation est très différente car l'amélioration de l'air et la diminution des perturbations dues aux précipitations régionales sont plus notables dans les régions où les émissions ont été réduites. Dans les régions qui réduisent les émissions à courte durée de vie, le rendement des cultures augmente et les décès prématurés causés par la pollution de l'air diminuent considérablement.

Nous sommes encore loin d'avoir évité les pires effets des changements climatiques, les émissions de CO2 atteignant chaque année de nouveaux niveaux record. Il est clair que des mesures supplémentaires sont nécessaires. La réduction des émissions de méthane, de noir de carbone et de monoxyde de carbone n'est pas suffisante et ne peut pas se substituer à la réduction des émissions du CO2 ou nous permettre de gagner du temps avant de nous atteler à cette t?che qui doit commencer rapidement en raison de la longue durée de vie des émissions. Toutefois, les réductions de CO2 et celles des polluants à courte durée de vie pourraient considérablement augmenter nos chances de maintenir le réchauffement climatique de la planète à des niveaux acceptables tout en sauvant des millions de vies et en répondant aux besoins alimentaires de la population mondiale en expansion. En limitant les effets du réchauffement à court terme, elles pourraient également nous laisser plus de temps pour nous adapter aux changements climatiques au cours des prochaines décennies.

Les informations complémentaires, y compris les articles scientifiques, l'?valuation intégrée du noir de carbone et de l'ozone troposphérique par le PNUE et l'OMM et les visualisations interactives montrant les effets des mesures de réduction sont disponibles à

L'auteur remercie tous ses collègues qui ont contribué à l'article paru dans la revue Science intitulé ? Simultaneously Mitigating Near-Term Climate Change and Improving Human Health and Food Security ? ainsi qu'au rapport du Programme des Nations Unies pour l'environnement et de l'Organisation météorologique mondiale intitulé l'?valuation intégrée du noir de carbone et de l'ozone troposphérique sur lesquels s'appuie cet article.

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